En mots

Du réconfort, de l’enthousiasme et de l’espoir, voilà les principaux bienfaits de cette journée riche en échanges et en liens « réels » qui a rassemblé environ 300 personnes à la Bellevilloise (Paris, 20e) samedi 1er février 2020, à l’occasion des premières Assises de l’attention.

En ce samedi matin pluvieux, une file d’attente patientait dès 8h30 à l’entrée de la Halle aux Oliviers, superbe salle dans laquelle 13 associations disposaient de stands pour accueillir les participants et présenter leurs actions. L’événement, annoncé dans les réseaux des associations co-organisatrices et dans quelques médias (RMC, Europe 1, France Culture, RTL, l’ADN), était complet en à peine un mois, et les inscriptions clôturées dès le 13 janvier.

L’attente était grande car c’était une première : plus de vingt associations engagées dans la prévention des effets des écrans, la réflexion critique sur la technologie, l’information ou la publicité s’étaient coalisées, tandis que les spécialistes du sujet étaient présents pour partager leurs visions – hors de tout conflit d’intérêt ! La force de la société civile en action alliée au savoir des chercheur(se)s et auteur(e)s, au service d’une immense ambition : mieux comprendre le danger des écrans pour notre société et proposer des solutions pour en sortir.

A l’accueil, la première étape consistait à glisser son téléphone portable dans une housse Yondr verrouillée que l’on conservait sur soi afin de profiter pleinement de la journée et des échanges, faisant de cette journée un événement entièrement déconnecté. Après un café ou un thé offert par le collectif des associations organisatrices, la conférence pouvait commencer dans l’autre salle, comble, à l’étage.

Scénette surprise à l’ouverture !

Surprise ! Alors que le public s’attendait à un mot d’accueil, trois comédien(ne)s de la jeune Compagnie de l’Escabeau et du Labec interprètent une farce comique sur le thème des smartphones. Rapidement, la salle comprend et rit aux éclats, la journée commence sous les meilleurs auspices, ceux du rire et de l’enthousiasme.

Après un mot d’accueil (le vrai cette fois !) par Anne Lefebvre, Présidente d’Alerte et Yves Marry, cofondateur de Lève les yeux, la première table ronde peut commencer : « Les enfants face aux écrans ». Sabine Duflo (membre fondatrice du CoSE, auteure de Quand les écrans deviennent neurotoxiques, Marabout, 2018), Jean-Philippe Lachaux (directeur de recherche en neurosciences à l’INSERM, spécialiste de la question de l’attention dans l’éducation) et Karine Mauvilly, enseignante et essayiste, auteure du Désastre de l’école numérique (Seuil, 2016) et de Cyberminimalisme (Seuil, 2019), prennent ainsi la parole successivement pour partager leurs analyses et leurs pistes de solution, guidés par la modération avisée de Kyrill Nikitine, journaliste et auteur indépendant.

De gauche à droite : K. Nikitine, JP Lachaux, S. Duflo et K. Mauvilly

L’enjeu est de taille concernant l’exposition des enfants aux écrans, car partout dans le monde, et avec vigueur en France, l’inquiétude grandit dans les familles, et notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé, qui voient déferler chaque jour davantage d’écrans dans leurs vies, jusque dans leurs maternelles, tandis que les effets catastrophiques de l’exposition deviennent, eux, chaque jour moins contestables – le travail décisif de Michel Desmurget, malheureusement absent, sera ainsi cité de nombreuses fois.

Une salle comble et « attentive »

Une courte pause a permis un moment d’échange au Forum des associations, en bas, comme lors de toutes les interruptions, puis la parole a été donnée à deux « pionniers du défi sans écran », Janine Busson (Présidente et fondatrice de l’association Enfance-télé : danger ?) et Jacques Brodeur (Fondateur d’Edupax au Canada), qui dès la fin des années 1990 ont mis en lumière les effets délétères de la télévision sur les comportements des plus jeunes.

De gauche à droite : C. Van Houtte, M. Vaugrenard, AL Ducanda, MC Bossière, C. Bonnisseau et I. Munch

La seconde table ronde, modérée par Marie-Claude Bossière (membre du CoSE), a ensuite permis à cinq associations de terrain de partager leurs réalités quotidiennes et d’expliquer leur travail de protection des enfants face aux écrans, et ainsi au public de nourrir un espoir devant la richesse des initiatives partout en France. Se sont exprimées :

  • Alerte (Irène Munch, membre active)
  • Chevaliers du Web (Carine Bonnisseau, Fondatrice)
  • CoSE – Collectif surexposition écrans (Anne-Lise Ducanda, Cofondatrice)
  • Joue Pense Parle (Carole Van Houtte, Présidente)
  • Lâche ton écran (Marion Vaugrenard, Secrétaire générale)

Le déjeuner servi dans la Halle aux Oliviers a de nouveau permis l’échange et la découverte d’ouvrages – grâce à la présence des Éditions de la Lenteur et de l’Echappée, ainsi que de la Librairie Quilombo qui proposait les ouvrages des intervenants – avant que l’après-midi ne commence sur le thème : « Attention et société : quels enjeux ? »

Car l’un des objectifs de la journée était bien de montrer que l’urgence sanitaire liée à l’exposition des enfants aux écrans n’était pas un fait isolé, mais bien le symptôme d’un problème plus profond, celui de la captation permanente de notre attention par les écrans – désormais la majorité de notre temps éveillé… -, au profit d’entreprises ayant assis leur modèle économique sur les revenus publicitaires et la collecte de données personnelles.

De gauche à droite : J. Rohde, C. Biagini, C. Zolynski et Y. Citton

Juliette Rohde, Fondatrice de l’association Saisir, a animé cette troisième table ronde avec des interventions de :

  • Cédric Biagini, fondateur et directeur des Éditions de l’Échappée, coordinateur de l’ouvrage Critiques de l’école numérique (L’Échappée, 2019).
  • Yves Citton, professeur de littérature et médias à l’Université Paris 8, et auteur de L’Économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ? (Seuil, 2014) et Pour une écologie de l’attention (Seuil, 2014).
  • Célia Zolynski, professeur à l’école de droit de la Sorbonne, co-autrice de l’article « L’économie de l’attention saisie par le droit. Plaidoyer pour un droit à la protection de l’attention »

Une fois encore, l’échange a laissé ensuite place à la découverte du travail associatif. Modérée par Nicolas Eyguessier, membre du collectif Écran total, nous avons pu entendre les associations et collectifs :

  • Déconnexion (Stanislas Marsil, fondateur)
  • Écran total (Keltoum, membre active)
  • Lève les Yeux ! (Florent Souillot, cofondateur)
  • RAP – Résistance à l’agression publicitaire (Thomas Bourgenot, chargé de plaidoyer)
  • Technologos (Mathilde Cocherel, membre active)

Cette journée s’est conclue en premier lieu par l’annonce de la Semaine sans téléphone portable, initiée par Phil Marso dès 2001 (!), puis Yves Marry, cofondateur de Lève les yeux, a énoncé les propositions politiques décidées collectivement par les douze associations organisatrices à l’intention des candidats aux élections municipales, avant les traditionnels remerciements aux nombreuses personnes ayant contribué au succès de cette journée.

Yves Marry énonce les propositions politiques du Collectif

Voici les propositions :

  • La fin des écrans publicitaires dans les lieux publics (rues, gares, stations de transport en commun), y compris les écrans à l’intérieur des boutiques.
  • Des enfants préservés des écrans avec les principes suivants :
    • Aucun écran présent au sein des crèches, maternelles, et écoles primaires
    • Aucun écran en dehors de l’enseignement de l’informatique à partir du collège (avec fin du principe de remplacement des cahiers et des livres par des tablettes numériques)
    • « Droit à la déconnexion » des familles, qui doivent pouvoir échanger avec les établissements scolaires sans passer par internet
  • Une vaste campagne publique de sensibilisation sur les effets des écrans et des contenus inappropriés basée sur des études indépendantes de tous conflits d’intérêt, avec par exemple :
    • Campagne publique de prévention au sein des établissements scolaires et structures d’accueil de jeunes.
    • Organisation de débats publics sur la place du numérique dans les villes (dans la rue, les bibliothèques, les écoles, etc.) avec des intervenants

Pour beaucoup de participants, cette journée a été réconfortante car elle a permis de se sentir « moins seul » face à l’omniprésence des écrans. Nous sommes nombreux à partager cette inquiétude face au « rouleau compresseur numérique » et à espérer un avenir où les connexions seront davantage réelles que virtuelles, et cette journée a été l’occasion de le réaliser et de nous autoriser à espérer ensemble

Des photos et des podcasts de la journée seront disponibles dans les semaines qui viennent.