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Lettre ouverte aux organisateurs des États généraux du Numérique pour l’éducation

Dans le cadre de la préparation des États généraux du Numérique pour l’éducation qui se tiendront à Poitiers les 4 et 5 Novembre prochains sous l’égide du Ministère de l’Éducation nationale, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale s’est réunie les 23 et 30 septembre 2020 pour quatre tables rondes consacrées au numérique éducatif, sous la présidence de Monsieur Bruno Studer, député LaREM de la 3ème circonscription du Bas-Rhin.

Compte tenu des enjeux, la question de la place à donner au numérique dans l’éducation mérite un débat sérieux et approfondi, par essence contradictoire. Nous nous étonnons par conséquent du choix des experts auditionnés par la Commission, qui, par leurs fonctions respectives ont, et c’est assez remarquable, tous un intérêt direct ou indirect à prôner la numérisation massive de l’Éducation nationale. Ainsi de Mesdames Marie-Caroline Missir, Directrice générale de Canopé, Caroline Vincent, enseignante à l’INSPÉ d’Aix-en-Provence, et de Messieurs Rémy Challe, Directeur général d’EdTech France, Jean-Marc Merriaux, Directeur général de la Direction du numérique pour l’éducation du Ministère de l’Éducation nationale, Alain Frugière, Président du réseau des INSPÉ, Jean-François Vendramini, Chef de service Numérique éducatif de la région Grand-Est, Frédéric Kerbèche, Chef du service développement et stratégie numérique à la direction de l’éducation et des collèges du conseil départemental du Val d’Oise, Édouard Geffray, Directeur général de l’enseignement scolaire, Pascal Bringer, Président de l’AFINEF (Association des entreprises du numérique pour l’éducation et la formation), Nicolas Turcat, Responsable du développement des usages numériques de la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts), Pierre Schmitt, Directeur technique et innovation de LDE (qui a remporté l’appel d’offre de la région Grand-Est et fournit à ce titre les manuels numériques de tous les lycées 4.0).

Sans surprise, les positions exprimées lors de ces deux journées ne questionnent aucunement le déploiement massif des nouvelles technologies dans le système éducatif auquel elles sont uniformément favorables. Lors de la seconde table ronde, le 23 septembre, Monsieur Rémy Challe s’est d’ailleurs félicité avec une touchante fraîcheur de cette belle unanimité, (conforme, cela va de soi, aux intérêts bien compris des quelques centaines de start-up regroupées au sein d’EdTech France). Pourtant, des voix critiques de tous bords s’élèvent depuis plusieurs années et avancent des arguments solides, alertant sur les impacts négatifs du numérique sur les plans environnemental, social et anthropologique, appelant à une extrême vigilance quant aux risques spécifiques liés à l’Intelligence artificielle, montrant sans ambiguïté les effets délétères d’une surexposition des enfants et des adolescents aux écrans, et dénonçant de surcroît l’absence de bénéfices probants sur les apprentissages. Les documents sont tous aisément accessibles. Citons notamment les chiffres publiés par l’Adème, les derniers résultats des tests internationaux PISA, les travaux du CoSE (Collectif Surexposition aux Écrans, réunissant plusieurs professionnels de santé), les Assises 2017 de l’association Technologos consacrées à l’éducation numérique (avec notamment une conclusion du philosophe et mathématicien Olivier Rey), le blog La vie moderne animé par Loys Bonod, jeune professeur agrégé de lettres classiques, les publications du collectif Ecran Total de Crocq, les premières Assises de l’Attention organisées par Lève les yeux le 1er février 2020, le colloque « Quelle place voulons-nous donner aux écrans dans la vie de nos enfants ? » de la Fondation pour l’école la semaine suivante, et de nombreux auteurs parmi lesquels Manfred Spitzer, Michel Desmurget, Sabine Duflo, Éric Sadin, Philippe Champy, Karine Mauvilly, Philippe Bihouix, Marie David et Cédric Sauviat. Un ouvrage collectif Critiques de l’école numérique a également été publié en 2019 par Cédric Biagini aux éditions l’Échappée. La société civile n’est elle-même pas en reste comme le montrent l’Appel de Beauchastel (rédigé par un groupe d’enseignants en 2015 qui justifient leurs désaccords face à la numérisation imposée de leur métier), ou encore l’Appel Pour nos enfants, résistons ! lancé le 18 juin dernier par le collectif « Nous, personne » et qui a recueilli en quelques semaines plus de 700 signatures de tous horizons.

En l’absence d’intervenants capables de porter une voix discordante, les futurs États généraux du Numérique pour l’éducation s’annonceraient comme une vaste opération de prosélytisme et s’inscriraient à ce titre dans la continuité des salons type Educatec/Educatice. Loin d’un échange constructif de différents points de vue, le seul objectif de ces événements, chaque année plus nombreux, est manifestement de permettre aux industriels du secteur d’assurer la promotion toujours plus large de leurs produits, avec le soutien affiché des pouvoirs publics : ministères, académies, collectivités territoriales.

Afin de permettre la tenue de débats véritablement ouverts, nous demandons par conséquent à ce que les collectifs et associations qui souhaitent défendre publiquement une position plus critique puissent être présents à Poitiers les 4 et 5 novembre 2020 afin de participer aux États généraux du Numérique pour l’éducation en y bénéficiant d’un temps de parole suffisant.

Le Collectif Attention, le 12 octobre 2020.

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